mercredi 11 novembre 2009

TRAITE ET ESCLAVAGE CRIMES CONTRE L’HUMANITE

SUITE DE LA PROCEDURE ENGAGEE PAR LE MIR EN 2005
(octobre 2009)


PREMIERE ETAPE: Mettre en place une expertise afin que soient connues l’étendue et l’ampleur des conséquences du crime et établie de façon scientifique et historique cette comptabilité encore inexistante.
1992
L’idée d’engager une procédure juridictionnelle contre l’Etat français rédacteur du Code Noir est notamment présente dans le « Procès de Christophe Colomb » organisé en 1992 par le Cercle Frantz FANON en Martinique, comme dans la lettre envoyée cette même par le CIPN (Comité International des Peuples Noirs) au Président de la République française demandant réparation à l’Etat français pour les 3 crimes contre l’Humanité que sont « l’esclavage des Nègres - le génocide amérindien - le génocide africain ».

1998
Cette idée se précise durant l’année du cent cinquantième anniversaire de l’abolition française de l’esclavage (1848) qui est une année de mobilisations sans précédent pour la communauté noire en France, et aboutit au dépôt en décembre 1998 d’une proposition de loi.

LE CONCEPT DE CRIME CONTRE L’HUMANITE
Le concept juridique est fixé tant par les textes internationaux que par les textes de droit internes, mais se heurte jusqu’en 2001, pour la traite et l’esclavage, à 3 obstacles juridiques :
- la prescription,
- la non rétroactivité de la loi,
- l’immunité pénale de l’Etat.

Toutefois, l’adoption de la Loi française n° 2001-434 dite TAUBIRA, ouvre de nouvelles perspectives vers une action juridictionnelle en mesure de s’appuyer sur des arguments recevables devant les tribunaux français.

LA LOI FRANCAISE
Trois années de lutte ont permis à la proposition de loi de 1998 d’aboutir à l’adoption de la loi de 2001. A un moment où l’histoire semble tourner, mis au pied du mur, aucun des hommes politiques appelés à voter, n’a pris le risque de voir son nom inscrit pour la postérité parmi ceux des négationnistes. Ceux qui étaient contre ont opté pour l’abstention qui fut massive.

Cette loi fait entrer les deux phénomènes historiques majeurs de la traite et de l’esclavage dans le système contemporain du droit.
Elle présente néanmoins une carence du point de vue de la logique juridique en ne reprenant pas les questions centrales des Responsabilités et des Réparations qui figuraient dans la proposition de loi.

La porte jusque là hermétiquement fermée, de contentieux, est toutefois désormais ouverte.
Car dans tout le système juridique, la réparation est substantiellement liée à la reconnaissance du crime.


La tâche qui nous incombe consiste
en la mise en forme d’une articulation juridique cohérente

Puisque les crimes contre l’humanité sont reconnus en droit :

Quelles victimes ? QuelS dommageS ? Quelles réparations ?

2005 – PROCEDURE ENGAGEE PAR LE MIR ET LE CMDPA
(MIR – Mouvement International pour les Réparations & CMDPA - Conseil Mondial de la Diaspora Panafricaine)

La procédure engagée par le MIR-Martinique et le CMDPA est pionnière, historique et fondamentale pour la conduite de la lutte menée par l’ensemble des juristes qui de par le monde travaillent à la reconnaissance et aux réparations des crimes coloniaux.
La Loi n° 2001-434 dite TAUBIRA constitue la brèche en reconnaissant ces crimes orchestrés plusieurs siècles durant sous l’égide d’Etats, qui pour en avoir été les organisateurs, en sont les principaux responsables.
L’Etat français est de surcroît le rédacteur du fameux Code Noir qui inspirera tous les autres codes de même nature.

Ce qui est posé
c’est la question majeure des temps modernes :
celle de la réparation et des inégalités qui traversent la planète du Nord au Sud avec tant de violences.
La procédure est introduite par une assignation de l’état, à travers son représentant devant les juridictions judiciaire, l’Agent Judiciaire du trésor, le 30 mai 2005, devant le Tribunal de Grande Instance de Fort de France.

Les demandes inscrites dans cette assignation s’énoncent comme suit :
- Déclarer l’état français qui a reconnu avoir commis les crimes contre l’humanité qu’ont été la traite négrière et l’esclavage des noirs, responsable du préjudice matériel et immatériel que subit actuellement le peuple martiniquais descendants d’Africains déportés et mis en esclavage sur le sol martiniquais,
- Dire que l’état français devra réparer intégralement le préjudice subi par le peuple martiniquais,
- Avant dire droit, ordonner une expertise aux fins d’évaluer le préjudice subi par le peuple martiniquais du fait de ces crimes contre l’humanité et designer un collège d’experts en vue d’évaluer ledit préjudice. Dire que l’Etat français sera condamné à financer les travaux du collège d’experts sur la base d’un budget prévisionnel à fixer par ledit collège dans les six mois de sa formation,
- Fixer à 200 Milliard d’euro la provision due sur le préjudice (soit 10% du PIB nominal actuel français), somme qui sera gérée jusqu’à la constitution d’une fondation pour la réparation, par une cogérance partagée entre le Département et la Région pris en la personne de leurs présidents respectifs.
REACTION DE L’ETAT FRANCAIS
L’Etat oppose à ces demandes :

1 ) L’incompétence du tribunal choisi, en demandant au tribunal de décliner sa compétence au profit du Tribunal administratif,
2 ) L’irrecevabilité des demandes formulées par des associations.
Le droit français, au contraire du droit américain ne reconnaît pas encore la class action (une révision est en cours), à savoir une action judiciaire entreprise par un petit groupe de personnes au nom d’une collectivité plus grande ; ici celle des « descendants de déportés et d’esclaves », « le peuple martiniquais », la « communauté des victimes »….
3 ) L’absence de mention de la réparation et de la responsabilité de l’Etat dans la loi ; et en matière de responsabilité, l’Etat français se défausse en renvoyant la responsabilité sur les individus.
DECEMBRE 1998 - JANVIER 2008 UNE VICTOIRE HISTORIQUE EST ENREGISTREE
Il s’agit de la première procédure judiciaire au monde permettant de demander à un Etat colonial des comptes sur ses crimes du passé.

Le droit est en train de se faire à mesure de l’avancée de la procédure et le débat juridique se nourrit de tous les moyens échangés par les parties au procès.

Il est désormais acquis que c’est le juge judiciaire qui devra statuer sur les demandes visant la réparation et en tout premier lieu la demande d’expertise.
I - COMPETENCE DU TRIBUNAL : VICTOIRE DU 4 JANVIER 2008
Compétence du juge judiciaire : au terme de trois ans de discussion une décision du 4 janvier 2008 juge que le Tribunal de grande instance est compétent contrairement à ce qu’affirmait l’Etat. Dans le système français la voie administrative est celle de l’enlisement, où l’Etat est juge et partie. Le Conseil d’Etat, juridiction suprême de l’ordre administratif, est dans le même temps conseiller et juge de l’Etat.
Le juge a rappelé l’article 136 du code de procédure pénale auquel nous nous étions référés pour faire obstacle à une compétence administrative à savoir que « dans tous les cas d’atteinte à la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par l’autorité administrative et les tribunaux de l’ordre judicaire sont toujours exclusivement compétents » - « il apparaît difficile de soutenir que la capture, l’asservissement puis le maintien en esclavage (..) de millions d’individus africains déportés aux Antilles n’ont pas eu pour conséquences une atteinte à la liberté individuelle des individus concernés. En réalité il existe par nature un lien consubstantiel entre l’esclavage et l’atteinte à la liberté individuelle ».

L’Etat français renonce à contester la décision du juge : en effet, après avoir saisi le tribunal du conflit de compétence et saisi le tribunal suprême de l’ensemble des juridictions françaises, le Tribunal des conflits, la plus haute de toutes les cours, l’Etat français renonce à contester cette décision acquiesçant à la compétence du juge judiciaire.

Sur ce motif majeur, le juge judicaire gardien des libertés individuelles a donc pu s’imposer en déclarant les juridictions judicaires compétentes.
Toutefois, il a rejeté notre théorie de la « voie de fait » sous des motifs discutables et sans doute pour préserver les intérêts de l’Etat.
Rejet de la « voie de fait » : le tribunal refuse donc de reconnaître sa compétence sur l’un des fondements invoqués par le MIR et le CMDPA, à savoir la « voie de fait » commise par l’Etat français à l’encontre des victimes des deux crimes.
La « voie de fait » correspond, dans la langue juridique, au fait de porter atteinte à un droit d’autrui et au fait pour l’administration d’agir en dehors du cercle de ses pouvoirs et de se comporter comme un particulier. L’immunité de l’Etat ne peut alors plus être invoquée, l’Etat s’étant comporté comme un particulier auteur d’un crime et responsable de ses conséquences.
NB : sur cette question, le tribunal n’hésite pas à nous opposer que le crime de l’esclavage était légal.

II - RECEVABILITE : ENGAGEMENT DE PROCEDURES INDIVIDUELLES
En attendant que le droit français évolue, puisque des associations ne sont pas présentement habilitées à agir au nom de la défense des droits de la collectivité des descendants de déportés et d’esclaves, nous avons décidé de faire intervenir à la procédure les personnes physiques, descendant de personnes ayant subi le ou les deux crimes.

Avec l’intervention de ces personnes physiques, et l’obstacle du défaut de qualité à agir étant ainsi levé, il devient même possible de prolonger la procédure en demandant, avant même qu’il ne soit jugé de l’ensemble du contentieux, une provision sur la réparation du préjudice subi par ces descendants de déportés et d’esclaves. Des demandes d’indemnisation ont donc été formulées à titre provisionnel pour les 70 personnes qui sont à ce jour intervenus à titre personnel à la procédure.

Le procès général est aujourd’hui suspendu à la décision qui doit être rendue sur cette question de provision.

Une audience a eu lieu le 8 septembre 2009 et nous avons sollicité un délai car nous établissons actuellement la généalogie des personnes qui sont intervenues à titre personnel à la procédure, la preuve formelle pour chacune d’elles de sa qualité de descendant d’esclave devant être fournie.

Le tribunal devrait être en mesure de répondre à la demande de provision au plus tard en février mars 2010, et la décision qui sera rendue permettra de connaître quels arguments juridiques les juges pourraient opposer à notre demande principale qui vise la constitution d’un collège d’experts pour l’évaluation du préjudice.

Concernant cette question de l’expertise, il a été exposé au tribunal, qu’indépendamment de la réponse qu’il pourrait fournir à la demande de réparation, le droit de savoir et donc d’obtenir une expertise pour évaluer l’étendue du dommage ayant résulté des deux crimes, relève du devoir de mémoire que pose explicitement la loi Taubira.
Si les juges estiment que le droit à réparation ne peut être octroyer sur le fondement de la loi Taubira, le devoir de mémoire qu’elle pose comme une obligation morale permet d’en déduire une obligation juridique à la connaissance de ces deux crimes imprescriptibles. Connaissance qui comprend l’évaluation des dommages et requiert pour ce faire l’expertise que nous réclamons.

Au final, le dernier objet de débat sera celui de l’imputabilité à état français de la responsabilité des deux crimes. Il convient ici de rappeler que lors de l’abolition de 1848, l’Etat français s’est déjà prononcé sur sa responsabilité en jugeant qu’il lui incombait d’indemniser les colons.
MIR - OCTOBRE 2009
Toute personne d’origine africaine américaine souhaitant s’associer à la procédure en cours est priée de contacter Maître Alain MANVILLE : amanville@wanadoo.fr
Ou le secrétariat :
(français/anglais) : MIR.REPARATIONS@gmail.com
(espagnol/portugais) : rastrodeluna@hotmail.com

Le collège d’avocats qui en Guadeloupe-Guyane-Martinique suit présentement au plus près la procédure est composé de :
Me ARISTIDE Sarah, Me CHEVRY Evita, Me DEMOCRITE Daniel, Me DUHAMEL Claudette, Me DUHAMEL Maryse, Me EZELIN Roland, Me GERMANY Georges Emmanuel, Me MANVILLE Alain, Me SAGNE Maryse.